Communiqué du collectif TANY sur la nouvelle loi foncière malgache

le 08/12/2021

La nouvelle loi foncière malgache 2021-016 : Appel à la vigilance de tous les citoyens malagasy et de tous les intervenants dans le secteur foncier.

Après la publication des amendements décidés par les sénateurs le 22 juin 2021, plusieurs communiqués d’organisations paysannes et de la société civile ont expliqué que cette loi 2021-016, refonte de la loi 2006-031, constitue un net recul par rapport à la loi 2006-031, car elle va dangereusement à l’encontre des droits fonciers des citoyens malgaches, notamment des paysans. Mais le petit nombre de députés qui ont participé au vote de l’Assemblée Nationale la nuit du 30 juin 2021 l’ont adoptée, et le 19 octobre 2021, la Haute Cour Constitutionnelle – HCC – a demandé, seulement l’annulation de l’article 26 et formulé une demande de précision des  articles 21 et 22, ne changeant pas fondamentalement le caractère nocif de cette loi.

Le 5 novembre, alors que les citoyens espéraient encore que le Président de la République avait écouté les différentes doléances et ne promulguerait pas la loi, le Fonds National Foncier, une structure au sein du Ministère de l’Aménagement du Territoire et des Services Fonciers, a invité les six organisations paysannes faîtières (OPF) et deux plateformes des organisations de la société civile, SIF et ROHY, à une réunion de consultation prévue le 9 novembre 2021, « en vue de l’élaboration du décret d’application » de cette loi 2021-016. Les organisations ont décliné l’invitation en expliquant leurs raisons.

Depuis cette date, diverses sources ont annoncé la signature et la promulgation de la loi par Monsieur Le Président de la République, mais aucun Journal Officiel n’ayant paru entretemps, cette information ne peut pas être vérifiée. En revanche, l’invitation à échanger sur le décret d’application semble confirmer la volonté des autorités à avancer vers l’application de cette loi.

L’absence de déclaration publique et officielle des autorités concernant la promulgation de la loi ne doit pas endormir les citoyens qui suivent avec inquiétude les faits concrets qui se déroulent autour de cette loi.

Au cours des débats télévisés qui ont eu lieu entre les responsables d’organisations paysannes faîtières, d’un côté, et une parlementaire puis une haute autorité administrative, de l’autre, les partisans de la nouvelle loi l’ont défendue publiquement bec et ongles. Les différentes lettres adressées aux députés, aux membres de la HCC, à Monsieur Le Président de la République, aux différentes autorités directement impliquées n’ont rien changé à la détermination des décideurs et hautes autorités à porter atteinte aux droits fonciers de la majorité des citoyens malagasy.

Notons en particulier que  la décision n°17-HCC/D3 du 19 octobre 2021 de la HCC, précise bien que c’est Monsieur Le Président de la République qui a demandé à cette institution de statuer sur cette nouvelle loi.

Par ailleurs, le fait que cette nouvelle loi ait été présentée au Parlement sous la forme d’un projet de loi n°24/2018, signifie que l’initiative est venue du gouvernement. De plus, à notre connaissance, une équipe bien fournie du staff du Ministère de l’Aménagement du Territoire a assisté au vote des députés la nuit du 30 juin 2021, en compagnie du Ministre en personne. Par la suite, nous avons été très étonnés de voir dans les médias, à plusieurs reprises, Monsieur Le Ministre procéder à la distribution des certificats fonciers dans le cadre du projet CASEF (*), tâche honorifique qui devrait incomber aux Maires puisque les certificats fonciers relèvent de la gestion foncière décentralisée et ces documents sont signés par les Maires respectifs des communes concernées. Ces agissements corroborent les remarques et analyses des organisations de la société civile selon lesquelles cette nouvelle loi a pour principale finalité la reprise en mains par l’Administration centrale des pouvoirs relatifs à la gestion foncière qui ont été conférés aux communes.

Monsieur Le Ministre est certainement plus conscient que les autres responsables des conséquences que cette loi risque d’avoir sur le vote de la majorité des citoyens lors des prochaines élections présidentielles et législatives et tient à soigner son image vis-à-vis des électeurs au détriment du respect des prérogatives des Maires et de l’autonomie administrative des communes.

Mais les organisations de la société civile sont intimement persuadées que cette loi 2021-016 n’est qu’une nouvelle étape décisive en vue de l’extinction progressive de la gestion foncière décentralisée concoctée par l’administration foncière depuis plusieurs années à travers les différentes grèves nationales que les syndicats des employés des services des Domaines avaient menées pour s’opposer à la gestion foncière par les communes.

La mise en place des guichets fonciers au niveau des communes satisfait pourtant les paysans pour plusieurs raisons :

–         la proximité facilite l’accès aux différentes démarches, notamment pour la demande de certificats fonciers, contrairement aux services des domaines et topographiques très éloignés des communes, qii délivrent les titres,

–         le contrôle social en raison d’une meilleure communication entre le personnel de la commune et les usagers, souvent moins enclins à rejoindre les bureaux des services de l’Etat en cas de besoin ou de problème,

–         la consécration des droits par la commission de reconnaissance locale, ce qui ne nécessite pas le déplacement de plusieurs agents du Ministère,

–         le coût moindre de l’ensemble des démarches par rapport à celui du titre foncier inaccessible à la majorité en raison du processus compliqué

–         et l’existence de mécanismes de résolution des conflits au niveau local.

Au cours des conflits passés, une des formes déjà utilisée par l’administration dans le but de faire disparaître la gestion foncière décentralisée a été la tentative d’obliger les citoyens détenteurs de certificats fonciers à transformer leurs documents en titres.

Nous tenons donc à interpeller également les partenaires techniques et financiers dans le contexte actuel, notamment la Banque Mondiale, qui continue à financer sous forme de dons et de prêts, le secteur foncier malgache dans le cadre du projet CASEF, même si l’un des volets de ce projet comporte la délivrance massive de certificats fonciers que l’on pourrait juger utile pour la sécurisation des terrains des paysans.

L’application de la nouvelle loi 2021-016 aura en effet pour conséquences :

Ø  de supprimer la présomption de propriété, déjà reconnue par l’article 11 al.2 et l’article 18 de la loi 60-004 du 15 février 1960, marquée par l’incitation et l’autorisation des citoyens malagasy à occuper et à mettre en valeur les terrains jusqu’à une superficie de 30 hectares, cette présomption de propriété ayant été confortée par la réforme foncière de 2005 et la loi 2006-031, et permis à la majorité de la population qui n’avait pas pu obtenir de document légal de jouir de ses droits fonciers en occupant et en mettant son terrain en valeur,

Ø  d’expulser et d’exproprier sans indemnisation des millions de paysans et autres citoyens malgaches qui ne possèdent ni titres ni certificats fonciers, si leurs terrains sont inclus dans un périmètre minier ou dans une zone de projet déclaré d’intérêt public (art. 21 et 22 de la loi)

Ø  d’anéantir complètement les efforts entrepris par les anciens et actuels Malagasy dans la mise en valeur des terres autorisée et protégée par les lois antérieures,

Ø  d’aggraver la pénurie alimentaire dans toutes les régions de l’ile car de nombreuses familles perdront leurs terres,

Ø  de retirer progressivement les prérogatives et les compétences des collectivités territoriales décentralisées dans la gestion foncière,

Ø  et de provoquer une multitude de conflits fonciers entre les habitants actuels et les futurs occupants auxquels l’Etat attribuera les propriétés foncières confisquées aux paysans et aux simples citoyens.

A la lumière de ce qui précède, tous les partenaires techniques et financiers se préoccupant du secteur foncier ne devraient-ils pas remettre en question leurs actions, faire preuve d’éthique et de justice sociale, et arrêter de  financer les secteurs et projets qui vont à l’encontre des intérêts de la majorité des citoyens, au risque de provoquer un appauvrissement général de la population malagasy ?

 

(*) CASEF : projet Croissance Agricole et de Sécurisation Foncière cofinancé par la Banque Mondiale et le gouvernement malagasy : http://www.midi-madagasikara.mg/economie/2021/09/18/propriete-fonciere-22-000-certificats-pour-5-communes-de-vakinankaratra/ ; https://newsmada.com/2021/10/09/minisitra-andrianainarivelo-hajo-mitondra-hevitra-sy-mitsinjo-lavitra-isika/