Le colloque « Repenser les quartiers précaires : écrits, cheminements et interventions » s’est déroulée le 8 et 9 juin dernier, à Paris, à l’initiative du Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement (LAVUE) et de Centre-SUD (Situations Urbaines de Développement), avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD).
Cette rencontre s’inscrit dans un contexte où l’AFD intervient de manière croissante sur des projets de réhabilitation de quartiers précaires dans plusieurs pays. Face à l’ampleur des processus d’expulsions des habitants de ces quartiers, chercheurs et opérateurs de terrain ont été invités à partager leurs expériences et à débattre des pistes d’action pour renouveler les approches.
Une vingtaine de chercheurs et professionnels sont intervenus (voir liste intervenants) autour de deux grands axes de réflexion : d’abord, relire et analyser les travaux pionniers sur la constitution et la signification de l’habitat précaire (J. Turner, Lisa Peattie, etc.) ; puis, donner à voir les nouvelles tendances de la recherche sur ces entités spatiales et leurs développements, en particulier sur la question foncière et ses modes de sécurisation.
Sur la base de divers travaux de terrain (Rio de Janeiro, Beyrouth, Le Caire, Delhi, etc), cette relecture critique a permis de revenir sur les mythes qui entourent les quartiers précaires, notamment :
- Le quartier comme lieu de marginalité spatiale, sociale, économique et politique, selon une définition de la marginalité qui change au gré des contextes socio-politiques. De nombreuses études ont montré le caractère profondément intégré et complémentaire de ces espaces avec la ville « formelle », ainsi que le pluralisme des situations socio-économiques de ses habitants (J. Perlman à propos Rio de Janeiro).
- Le quartier comme lieu de passage. Il se définit davantage comme lieu de permanence, où des générations d’habitants se succèdent et se sentent appartenir au quartier. Le caractère temporaire, transitoire de ces espaces est plutôt à chercher dans le discours des gouvernants, qui souhaitent souvent voir ces quartiers disparaître ou devenir ville. Ce mythe a en partie occulté le travail d’’analyse des trajectoires de ces quartiers. En effet, « il est difficile de faire l’histoire de quelque chose qui ne devrait [politiquement] pas exister. » rappelle R. Soares Gonçalves.
Les interventions ont convergé vers une définition de ces quartiers en termes de précarité. Cette précarité est avant tout foncière, puisque les habitants n’ont pas de droits reconnus sur les terres qu’ils occupent, et vivent sous la menace plus ou moins tangible d’une éviction prochaine. Cet état de fait ouvre sur la question des moyens d’une sécurisation de leur installation, trop souvent réduite au débat sur la formalisation de droits fonciers, corollaire du paradigme sur la propriété privée.
La régularisation des occupants in situ est une voie de plus en plus promue, qui permet de reconnaître et intégrer ces espaces urbains « de création populaire » (A. Deboulet) Cette option n’est cependant pas adaptée à tous les contextes (E. Denis, Inde). Par ailleurs, elle n’évite pas certains écueils (A. Durand Lasserve, Afrique Sub saharienne), tels que la hausse de la valeur marchande de la terre, génératrice de nouvelles exclusions. Une piste de réflexion réside dans la notion de « urban commons » comme le rappelle T. Vitale, qui valorise la mise en place de dispositifs de gestion et d’occupation collectives de certains territoires urbains.
Enfin, l’intervention sur les quartiers précaires interroge la place prise par ceux qui se proposent d’assurer l’intermédiation entre les habitants de ces quartiers et les acteurs, publics et privés, qui conçoivent et mettent en œuvre la politique urbaine (Y Cabanes, G. Massiah). Cette intermédiation est portée par une nouvelle « classe sociale émergente », celle des « compétents, qui détiennent l’expertise », ONG en tête.
A l’heure où la participation des habitants est largement promue dans les projets de réhabilitation de quartiers (Véronique Dupond, Inde) comme la garante d’une intervention qui leur serait favorable, la présence d’un tiers acteur n’est pas neutre. Elle pose la question de la représentation, de la transmission des connaissances, et du renforcement des compétences des populations concernées. Car le véritable enjeu de la transformation de ces quartiers est finalement de « donner les moyens à ses habitants de lutter contre la ville compétitive. »
Un résumé des interventions de chaque intervenant est pour l’instant disponible ici. Une publication est en préparation.
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