Les politiques foncières représentent un moyen d’une part de promouvoir un développement économique en permettant un usage plus productif de la terre, et d’autre part, de contrôle de la terre et de ses ressources. Au Burkina Faso, la définition de modalités pertinentes de gestion du foncier demeure une préoccupation essentielle des régimes politiques qui se sont succédés depuis l’Indépendance. C’est dans un contexte de pluralisme juridique marqué par de multiples conflits dans l’utilisation de la terre qu’advint la loi sur la réorganisation agraire et foncière (RAF). Cette loi affirme clairement le monopole de l’Etat sur la gestion du foncier et la propriété de la terre. Elle a connu deux lectures successives, donnant une place à la chefferie coutumière et aux acteurs privés.
La question de la sécurité foncière a connu un regain d’intérêt au cours des années 1990, du fait de la multiplication de projets et programmes de sécurisation foncière et de gestion des ressources naturelles, mais aussi de par l’émergence de « nouveaux acteurs ». L’insatisfaction vis-à-vis des relectures successives, les conflits récurrents et souvent violents (notamment entre agriculteurs et éleveurs), le souci de sécuriser l’investissement privé dans le secteur agricole, ont conduit les autorités politiques à travailler sur une réponse globale permettant de traiter cette question de manière cohérente dans le cadre de l’élaboration d’une Politique Foncière Rurale. L’originalité de la démarche consiste à confier à une équipe pluridisciplinaire d’experts Burkinabè le mandat de conduite technique du processus. Un Comité national de sécurisation foncière mis en place devait jouer les rôles d’orientation, de
supervision, et de contrôle de la qualité du processus.
Les consultations entre acteurs reposent sur l’idée que la société burkinabè est constituée de groupes stratégiques qui se nouent autour du foncier. C’est sur la base de ces groupes qu’il convient d’organiser un débat pour prendre en compte leurs préoccupations majeures et parvenir à un consensus, au sens de compromis garantissant l’équilibre socio politique et la
cohésion nationale.
Les différentes phases du déroulement du processus ont été la formulation d’un diagnostic et les premières orientations pour le débat, la mise en débat entre les différentes catégories d’acteurs, les débats au niveau régional, la finalisation des propositions issues des débats (régionaux et catégoriels), la tenue d’un forum national, et enfin la synthèse des conclusions du forum et son adoption officielle par le Gouvernement. Le processus a démarré en Février 2005 pour s’achever en Mai 2007 avec la tenue du forum national, puis l’adoption de ses conclusions en Septembre 2007. Le processus se caractérise par des phases actives, des phases de mise en sommeil puis d’accélération frisant la précipitation. Tout au long de ce processus, des versions successives du document de proposition ont été produites, traduisant la prise en compte des propositions des groupes stratégiques.
Au terme du processus, il ressort un consensus sur des points essentiels, en particulier sur la fin du monopole de la propriété de l’Etat. On reconnaît le principe de répartition suivant : les terres appartenant à l’Etat (Domaine foncier de l’Etat), celles appartenant aux collectivités territoriales (Domaine foncier des collectivités territoriales), et à côté de chacun de ces deux domaines, les terres appartenant aux individus (Domaine foncier des individus ou des particuliers). Il est retenu que l’offre de sécurisation foncière devrait être envisagée et conduite selon le principe d’une diversité de reconnaissance des droits, pour tenir compte de la
particularité des situations et de la spécificité des besoins de sécurisation des acteurs sur le terrain, en particulier des groupes dits vulnérables (femmes, pasteurs) : des titres de propriété pour les nouveaux acteurs ou toute personne intéressée, des attestations de possession pour les acteur ruraux (individus, familles, lignages) avec possibilité d’évoluer vers un titre de propriété. Le principe de charte foncière locale élaborée de manière participative constitue également une avancée importance.
Toutefois, il subsiste des points de divergence, en particulier sur les questions comme la place de la chefferie coutumière dans la gestion foncière locale, ou encore, la question des droits à accorder aux nouveaux acteurs, ou encore, celle des modalités de leur contrôle. Ces points de divergence, tout comme les points insuffisamment approfondis, font fait l’objet de formulation (dans le document final) non acceptée par plusieurs des acteurs non étatique (organisations des producteurs, certains élus locaux).
Les mécanismes de sélection des participant(e)s aux différentes rencontres n’ont pas toujours garanti une représentativité effective des acteurs concernés, en termes notamment de légitimité. Par ailleurs, en interne au niveau des différents groupes d’acteurs, la question centrale de l’identification/désignation des délégué(e)s devant y prendre part ne semble pas avoir été conduite avec toutes les exigences de rigueur et d’efficacité voulues. En effet, les représentant(e)s aux ateliers ou au forum ne semblaient pas toujours avoir été désignés sur la base de leurs aptitudes à comprendre et de leurs capacités à apporter des contributions pertinentes. D’une manière générale, bien que le document introductif (élaboré par les experts avant les rencontres de concertation) ait été utile pour introduire les débats, il a été difficile d’accès (en termes de compréhension). Les délais de préparation préalables ont été en outre trop courts accentuant les inégalités dans la conduite des débats.
On observe qu’assez tôt dans le processus, certaines personnes relevant des administrations centrales ont subtilisé partiellement ou totalement aux experts mandatés pour l’animation technique les rôles qui leurs étaient confiés au départ. Cela a fortement remis en cause la neutralité de l’administration et sa fonction d’arbitrage supposée.
Cette expérience est considérée par plusieurs observateurs comme l’une des plus positives en matière de consultation entre acteurs dans le processus d’élaboration des politiques publiques en Afrique de l’Ouest. Les résultats sont effectifs et montrent qu’il est possible et même souhaitable (en termes de valeur ajoutée) de construire des politiques en ayant recours à la participation. On relève toutefois un ensemble d’insuffisances de la qualité de cette participation, liées au jeu inégal des acteurs en présence, et des rôles joués au final par l’administration (fausse neutralité sur certains points, agendas imprimés, lignes budgétaires financés, etc.) qui traduisent les enjeux et les jeux d’influence. En dépit des insuffisances, il convient d’en tirer les enseignements.
C’est l’objectif du présent document de recherche.
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