Appui aux acteurs de la société civile pour alimenter le dialogue politique sur la gouvernance foncière à Madagascar
Depuis 2019, le Comité technique « Foncier et développement », présidé par le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères et l’Agence Française de Développement appuie des réseaux d’acteurs stratégiques sur les réformes foncières dans 7 pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal) et à Madagascar.
A Madagascar, plusieurs évènements politiques ont mobilisé les organisations de la société civile malgache, experts fonciers et membres du Comité durant les années 2020, 2021 et 2022. Ils se sont levés contre la remise en cause des acquis de la réforme foncière, notamment celle de 2005 qui avait fait un grand pas sur la reconnaissance légale des droits coutumiers et la décentralisation de la gestion foncière (voir les fiches pédagogiques sur la certification foncière, ses bénéficiaires et le bilan de la réforme foncière).
- La sortie d’un projet de loi sur les terres à statut spécifique en mars 2020, qui a fait l’objet de nombreux commentaires des différentes parties prenantes malgaches et de nombreuses négociations avec la société civile pour que celui-ci soit revu.
- L’adoption de la loi 2006-031 sur la propriété privée non titrée (PPNT) qui a été votée par l’Assemblée Nationale le 30 juin 2021. Le vote de ce texte a surpris les acteurs du foncier. La première loi sur la PPNT avait été conçue et mise en place lors de la réforme foncière de 2005 pour permettre aux populations des zones rurales, qui rencontraient des difficultés à obtenir des titres fonciers, d’avoir des droits de propriété reconnus sur leurs terres, que le certificat foncier confirmait ensuite. La refonte de cette loi dans le cadre d’un projet de loi 2018/024 voté et devenu loi 2021/016 remettait en cause plusieurs principes fondamentaux : (i) il annulait la présomption de propriété, et rendait nécessaire la possession d’un certificat ou d’un titre foncier pour être reconnu comme propriétaire sur une PPNT, (ii) il limitait la définition d’une PPNT à l’occupation et à la mise en valeur d’un terrain pendant au moins 15 ans avant la promulgation de la loi, (iii) enfin, il ne respectait pas la liberté et l’autonomie des collectivités territoriales décentralisées stipulées par la Constitution.
- Le 3 aout 2021, une note ministérielle a suspendu la délivrance de certificats fonciers sur tout le territoire malagasy.
- Une allocation du Président de la République malgache a eu lieu en mai 2022 et annoncé la tenue d’un forum national sur le foncier les 8 et 9 juin.
Suite à ces différents évènements et à des changements intervenus dans la composition du gouvernement, une nouvelle loi a finalement été adoptée le 1er juillet 2022 qui revient en grande partie sur les changements opérés un an plus tôt, au plus grand soulagement des acteurs de la société civile. Cette nouvelle loi n° 2022 – 013 portant refonte des règles fixant le régime juridique de la propriété foncière privée non titrée réaffirme les principes de la gestion foncière décentralisée impulsée lors de la réforme de 2005.
Une société civile malgache mobilisée pour préserver les acquis de la réforme foncière de 2005
Durant toute cette période, le Comité a fourni un appui aux initiatives de la société civile malgache, mobilisée fortement contre la nouvelle loi adoptée en juin 2021. A la demande de la SIF et de FIFATA, le Comité a soutenu différentes initiatives :
- Publication sur le Portail d’une note d’analyse sur la réforme foncière
- Organisation par la FIFATA d’un grand forum paysan en décembre 2021 pour informer une centaine de leaders paysans malgaches du contenu de la loi 2006-031 sur la PPNT et des risques sous-jacents ;
- Prise de contact avec des journalistes pour qu’ils puissent relayer et partager les inquiétudes et craintes exprimées par la société civile malgache sur les impacts possibles de cette nouvelle loi ;
- Echanges avec l’ILC et la SIF pour la publication d’une lettre ouverte adressée au Président de la République, finalement publiée en avril 2022 ;
- Publication sur le Portail des nombreux communiqués de presse de collectifs regroupant plus d’une centaine d’OSC et d’OP malgaches ;
- Appui à la SIF pour permettre d’assurer la préparation et participation au forum foncier organisé par le Président de la République en juin 2022 d’une forte délégation d’une centaine de représentants d’organisations de producteurs et de la société civile.
Afin de continuer à jouer son travail de veille et de proposition (notamment dans le cadre du processus toujours en cours de révision des textes portant sur les terres à statut spécifique), le Comité a validé en janvier 2023 le soutien à 4 nouvelles initiatives qui ont été conduites durant l’année 2023 et 2024 :
Etude sur la gouvernance des espaces liés à l’élevage extensif visant la sécurisation des droits pastoraux (Université d’Antananarivo, Think Tany, Cirad)
Les espaces pastoraux de grande superficie et les modes de gestion d’élevage qui y sont associés sont peu étudiés à Madagascar dans les champs de l’expertise et de la recherche, ils sont méconnus et sujets à des idées reçues ou stigmatisés. Il s’agit aussi d’espaces en pleine évolution, objets de concurrences d’usages (face à l’agriculture familiale, le reboisement de conservation, l’agriculture d’entreprise, etc.), qui sont appropriés, gérés ou revendiqués par différents groupes ou instances d’autorités. Il y a un grand intérêt à approfondir le sujet dans la mesure où le pays est actuellement en cours d’élaboration de nouvelles lois sur le régime spécifique des terres et les tenures foncières des terrains de gestion communautaire. Dans le cadre de la convention avec le CTFD, deux zones d’étude ont été couvertes : la région de Vakinakaratra et la Région Ihorombe. Ces travaux ont donné lieu à des restitution et mises en débat avec les services de l’Etat et organisations d’éleveurs au début de l’année 2024.
Etude sur la valorisation des usages dans les forêts et les zones de pêche à Sainte-Marie, région Analanjirofo (Cirad, PCADDISM)
Cette étude vise à alimenter les réflexions par des études de terrain, et à offrir les conditions pour la tenue de débats inclusifs et constructifs sur les tenants et les aboutissants de la sécurisation foncière à Madagascar, en particulier au regard des textes sur les droits communautaires en gestation. L’étude comporte différents aspects : (i) une synthèse à dires d’acteurs sur les enjeux du droit des usages de la terre et de ses ressources au regard de l’évolution de la législation ; (ii) le recensement des dispositions légales et réglementaires permettant la valorisation des usages ; (iii) la réalisation d’un lexique franco malgache utile à la préservation et la valorisation des biens communs de Sainte Marie ; (iv) le recensement et l’analyse de documents permettant d’apprécier le recours aux usages par le colonisateur ; et (v) l’élaboration d’une stratégie de valorisation des usages pour la mise en œuvre d’une plus grande justice sociale et écologique à Sainte Marie. L’étude a mobilisé 8 juristes au total, ainsi que d’autres personnes (linguistes / spécialistes en dialectologie et en (socio)terminologie, etc.).
Elle sera restituée et discutée avec les services techniques et acteurs du foncier courant 2024 et donnera lieu à la publication d’un numéro spécial de la collection « Regards sur le foncier » composé de cinq articles collectifs, ainsi qu’à la diffusion d’un lexique franco-malgache proposant un cadre d’échange interculturel de l’approche par les communs.
Evaluation de la relation entre l’insécurité alimentaire et le foncier dans la région Atsimo Antsinanana (Collectif Tany)
Cette étude vise à : (i) disposer de données concrètes collectées dans plusieurs fokontany sur divers aspects et différents niveaux de l’insécurité alimentaire au sein des familles vulnérables, (ii) analyser la relation entre les gradients d’insécurité alimentaire et la superficie de terrains disponible pour chacun des ménages, (iii) et contribuer à proposer des solutions pour éliminer la faim en agissant sur le levier foncier.
L’étude a été réalisée au niveau de 30 Fokontany sur 6 communes de deux districts : Vangaindrano et Farafangana. Au total, 3500 ménages ont fait l’objet d’enquêtes. Des focus group et entretiens avec des personnes ressources locales ont été réalisées. Le rapport provisoire de l’étude a été restitué lors d’un atelier organisé à Antananarive en septembre 2023 et a suscité beaucoup de débats. Il a connu également un important relais médiatique (presse écrite et télévisée).
Appui à la SIF pour la mise en place d’un système de veille informationnelle sur les conflits fonciers et le renforcement des capacités des communautés locales
Ces activités portées par la SIF visent à : (i) mettre en place un système de veille informationnelle communautaire sur le foncier « JERITANY », permettant de collecter et analyser les données sur les litiges et conflits fonciers pour en sortir des pistes de solutions et orientations stratégiques, (ii) établir un diagnostic des cas de litiges et conflits fonciers rencontrés (cette activité a permis de recenser et de traiter 31 cas de litiges et conflits fonciers, touchant plus de 12 000 ménages sur plus de 22 000 ha de terres au niveau des 9 régions d’intervention) ; (iii) accompagner les communautés dans leurs démarches de plaidoyer en faveur de la promotion de leurs droits fonciers auprès des autorités compétentes ; (iv) renforcer les capacités des communautés à travers l’organisation de deux séances de formation au bénéfice d’une soixantaine de participants.
Elles se poursuivent à travers : (i) la construction d’une vision commune entre les parties prenantes sur la gouvernance foncière et la résolution des problèmes fonciers ; (ii) la réalisation des missions de la plateforme SIF en lui permettant d’être force de proposition et d’interpellation (participation aux ateliers de rédaction des avant-projets de loi et règlements sur le foncier, actions de plaidoyer, etc.). Les appuis du Comité ont aussi permis à la SIF de créer une association de victimes de conflits fonciers, afin de favoriser leur accompagnement dans les procédures judiciaires en cours.
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