Le genre et le foncier : quels enjeux et perspectives pour une gouvernance inclusive et une paix durable ?
La 5ème édition des Assises Nationales sur le foncier rural en Côte d’Ivoire a eu lieu du 19 au 20 décembre 2024 à Abidjan. Porté par la Plateforme Alerte-Foncier qui regroupe plus de 300 membres dont près de 96 organisations de la société civile dédiées au foncier en Côte d’Ivoire, cet évènement a été l’occasion d’approfondir et de débattre sur la thématique : « Genre et foncier en Côte d’Ivoire : quels enjeux et perspectives pour une gouvernance inclusive et une paix durable ? ». Des structures étatiques — parmi lesquelles le Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant et celui de l’Agriculture et de la production vivrière—, des chercheurs, praticiens et experts, ainsi que des partenaires techniques et financiers, ont pris part aux discussions.
Les attitudes et opinions locales dans les coutumes ivoiriennes cantonnent le rôle des femmes à la sphère domestique par une répartition inégale des tâches quotidiennes entre les hommes et les femmes. En outre, une part importante de la coutume et des traditions estiment qu’il est légitime que les biens, et en particulier les terres agricoles, appartiennent aux hommes. D’abord, le caractère collectif de la terre fait que les terres reçues par l’homme de sa famille, doivent retourner dans le patrimoine familial après sa mort. De ce fait, les règles successorales excluent les veuves et les filles des héritiers potentiels. Dans certains cas, les femmes font même partie des biens susceptibles d’être transmis par héritage. Ensuite, le caractère sacré de la terre fait que, selon la coutume, seuls les hommes peuvent s’occuper des choses sacrées. Les femmes et les filles ne peuvent ni contrôler ni hériter d’une terre. Elles peuvent exploiter une parcelle, mais à condition que les hommes de la famille les y autorisent.
Des constats partagés et réflexions sur les inégalités de genre liées au foncier
Aussi, malgré une innovation majeure donnée par la Loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural qui stipule un accès égal à tous les héritiers, les défis en matière d’accès, de contrôle et de transmission des droits restent importants dans les faits. De plus, étant donné que le droit national ne formalise les droits de propriété foncière rurale qu’aux personnes qui détiennent déjà des droits coutumiers, les femmes demeurent défavorisées. Ces inégalités impactent la sécurité de l’exploitation et des investissements réalisés par des femmes, mais aussi pour les conditions d’existence des différents groupes sociaux auxquels elles appartiennent. Elles peuvent aussi les plonger dans la précarité dans certaines situations (en cas de veuvage notamment).
Plusieurs recommandations ont été émises durant les Assises dont les grandes lignes sont :
- Remédier à l’injuste reconnaissance du rôle joué par les femmes en valorisant les contributions économiques et sociales des femmes et en transformant les perceptions qui limitent leur statut. Ceci, à travers des sensibilisations renforcées notamment auprès des leaders traditionnels, mais aussi auprès même des femmes en vue de les informer sur leurs droits et les démarches nécessaires pour les protéger ;
- Renforcer le cadre juridico-institutionnel pour une meilleure inclusion des femmes en matière de sécurisation foncière par : (i) l’appui et l’accompagnement à l’ouverture de cliniques juridiques au niveau des régions en vue de faciliter la vulgarisation des textes en vigueur et la prise en charge de proximité en cas de violation des droits fonciers des femmes ; (ii) le renforcement des actions de plaidoyer en faveur de la sécurisation des droits de la femme, (iii) la mise en place de mécanismes locaux de résolution des conflits adaptés aux femmes et (iv) les appuis et encouragements liés à la contractualisation de mariages civils pour les épouses et les filles, ainsi que la rédaction de testaments familiaux afin de sécuriser les droits des femmes et des enfants ;
- Promouvoir des actions d’autonomisation économique des femmes à l’instar de l’article 15 de la Loi d’Orientation Agricole qui vise à aider l’investissement agricole des femmes et des jeunes. Cela implique des politiques de quotas, des formations, un accès accru au crédit et des réformes structurelles pour déconstruire les normes patriarcales.
- Favoriser la participation des femmes dans les instances de prise de décision en lien avec la gestion foncière : garantir leur représentation dans les comités locaux et nationaux et renforcer leurs compétences et leurs influences grâce à des formations adaptées.
En conclusion, les Assises ont constitué une étape cruciale pour asseoir une réflexion commune sur les contours multisectoriels du genre et de droits fonciers des femmes en Côte d’Ivoire dans la perspective d’identifier des leviers d’action pour la paix et le développement durable de la population. Les acteurs de la société civile, tout comme les institutions publiques, ont convenu de poursuivre leurs efforts pour une meilleure inclusion des femmes dans la gouvernance foncière. Les Actes des Assises feront l’objet de notes de plaidoyer que la Plateforme Alerte Foncier va porter auprès des décideurs étatiques.
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